Critique du film "Le Hobbit : La Bataille des Cinq Armées"

Deux heures et vingt-quatre minutes. Une durée qui semble dérisoire pour un film censé clôturer un univers aussi vaste que celui de la terre du milieu. C’est bien là le plus gros défaut de cette Bataille des Cinq Armées, dont on sent les coupes destinées à élaguer au maximum une intrigue peut être trop dense pour le rythme soutenu offert par le film. Juger une oeuvre sur ce qu’elle pourrait être, à l’aune d’une éventuelle version longue (dont on connaît néanmoins l’existence), en voila une bien drôle d’idée. On pourrait se contenter de cette version « intensive », visible pour les plus chanceux dans une 3D HFR élevant la sidération au rang d’art, et ce serait déjà beaucoup. Pourtant, cet authentique chef-d’oeuvre concocté par un Peter Jackson habité mérite bien plus. Poème épique, guerrier et crépusculaire, ce morceau de bravoure sur pellicule s’impose comme l’une des expériences les plus exaltantes vues récemment sur grand écran. De l’ahurissante attaque de Smaug en guise d’ouverture, climax ténébreux qui annonce pourtant l’impressionnant crescendo dramatique qui suivra, à l’épilogue d’une légèreté déchirante, tout le film transpire l’amour du grand cinéma.

Après l’introduction impressionnante répondant au cliffhanger du précédent opus, Peter Jackson se charge de faire monter la sauce en mettant en place ses personnages de façon stratégique pour la bataille du titre. Par essence ludique, cette narration impose une véritable montée en pression apportant un sentiment d’urgence que la saga n’avait jamais connu. Une dernière respiration avant le climax inévitable de plus d’une heure, qui parvient surtout à amener chacun de ses personnages à la fin de leur périple. A ce titre, tous auront le droit à leur moment de gloire dans un final moins impressionnant par la grandeur des affrontements qu'il décrit que par la tension qu’il se dégage de ces joutes à un contre un. Néanmoins, nous ne sommes pas dans Le Seigneur des anneaux, et c’est guidé par un sentiment de simplicité que le récit se déroule.

 

Conclusion épique à chacun des enjeux exposés dans les deux premiers films, ce Hobbit se doit plus que jamais d’être vu dans la continuité de ses prédécesseurs. Il en est un prolongement funèbre, sorte de dernière étape avant que le destin tragique de chacun ne les rattrape. On connait leurs fin, le film leur offre la plus belle des sorties. Plus que jamais, c’est l’émotion qui guide le cinéaste. Entre ses envolées chaotiques, la désolation et les morts, il expose le regard encore pure de son Hobbit. Formidablement campé par Martin Freeman, témoin passif d’une guerre qu’il réfute, il tentera par tous les moyens en sa possession de souder les troupes. Personnage bon par essence, il est ce dernier espoir au milieu du champ de bataille. Derrière lui, les êtres s’aiment, se trahissent et se déchirent. Plus que par sa violence visuelle déjà étonnante, La Bataille des Cinq Armées surprend par la tonalité sèche et abrupte de ce qu’il raconte. En clé de voute, le destin formidable de Thorin Ecu-de-chêne, épicentre de cette trilogie dont le basculement vers la folie constitue en fin de compte le véritable fil rouge narratif.

Beaucoup continueront à comparer les deux sagas, que le film se plaît à relier à sa façon, mais La Bataille des Cinq Armées s’écarte plus que jamais de la trilogie de l’anneau. En presque 9h, Peter Jackson aura retrouvé l’essence des plus grands récits, la force des mythes qui constituent le cinéma des origines. Certains auront beau regretter une abondance de CGI qu’il est si bon de dénoncer, pourtant leur utilisation confine au génie. C’est bien la mise en scène de ces derniers qui attire le cinéaste, comme pour mieux permettre à ses acteurs de pénétrer dans leur aventure jusqu’à l’intime. La 3D, le HFR, la Performance Capture, autant de techniques qui apportent un nouvel éclairage sur la façon de concevoir une oeuvre et de la vivre. Comme James Cameron, Steven Spielberg, ou Robert Zemeckis, Peter Jackson s’impose comme l’un des plus grands artisans de l’imaginaire. On pourra lui reprocher sa propension à l’abondance, sa générosité maladive, ou encore une fibre nostalgique l’ayant peut être poussé à revenir plus que de raison vers cet univers.  Pourtant, Le Hobbit est bien ce monument que l’on pouvait attendre.

 

A l'heure où des blockbusters interchangeables se bousculent aux portes des salles, le non-évènement entourant la sortie du Hobbit sur la toile reste incompréhensible. Malgré d'indéniables scories (que l'on espère corrigés prochainement), il s'agit d'une oeuvre pharaonique affichant une croyance inébranlable et une absence de cynisme exaltante. Un film dont la brillante fabrication et mise en image symbolise l’une des plus belles associations entre techniques modernes et classiques. On en ressort essoré, les larmes aux yeux, et le coeur brisé. Comme le sentiment d’avoir quitté quelque chose qui nous est cher.

4,5

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