Critique du film "Mister Babadook"

Babadook, c’est le nom d’un croque-mitaine apparue dans un livre étrange et intriguant. Point de départ suffisant pour isoler encore un peu plus Amélia et son fils, enfant asocial et incontrôlable.

En partant d’un postulat de conte macabre, Jennifer Kent déjoue les attentes légitimes des spectateurs. Elle se sert d’une imagerie en phase avec son temps, remise au goût du jour par un certain James Wan, pour la détourner peu à peu des conventions d’un genre qui semble depuis se refermer sur lui-même. C’est que la jeune réalisatrice australienne a un objectif bien plus vaste que de simples portes qui claquent. Entre l’horreur sociale et un véritable univers fantastique, elle construit un récit surprenant, cruel, et ambigu.

Allant chercher son inspiration du coté de l’expressionnisme allemand, dont ressortent les illustrations effrayantes et baroques du Babadook, Jennifer Kent impose une maitrise du langage cinématographique impressionnante : cadre, découpage, mise en scène du son, scénographie. Le style frontal de la réalisatrice frappe aux yeux, d’autant plus qu’il s’agit d’un premier film. Une mise en scène emphatique remarquablement intelligente dès lors qu’elle permet au scénario de ne pas s’embarquer dans des dialogues et descriptions inutiles, se présentant comme un vaste terrain de jeu apte à laisser les personnages d’adonner à leurs pulsions les plus visuelles.

Car l’autre grande force du métrage, c’est bien entendu la maestria avec laquelle Essie Davis interprète le rôle difficile d’Amélia. Sa relation avec son fils, douloureuse, est la colonne vertébrale d’un film souvent dérangeant parce qu’il pousse ses personnages dans leurs derniers retranchements, sans ne jamais les juger. Un parti pris jusqu’au-boutiste, et assez rare en ces temps d’un cynisme contagieux au sein du cinéma fantastique, qui atteint son paroxysme dans une dernière demi-heure en quasi huis-clos, angoissante à souhait et délicatement violente.

Il est ainsi dommage que les influences ne parviennent pas toujours à se cacher, avec en tête cette impression flagrante d’un Shining revisité. De même qu’un sentiment peut être trop prégnant d’un film qui chercherait à être plus intelligent que son genre, pas assez humble dans sa volonté de justifier à tout prix son argument fantastique. Une erreur, tant c’est dans cette ambiguïté que Mister Babadook tire sa force, de la fragilité de ses personnages coupés du monde, confrontés à leurs propres démons. Des défauts de jeunesse qui ne gâche en rien le plaisir de voir la naissance d’une cinéaste aussi atypique.

3,5

©2019 Cinéhorizons.net - IMPORTANT : Toutes les images / affiches sont la propriété de leurs auteurs ainsi que des sociétés de cinéma respectives.