Critique du film "Imitation Game"

« Are you paying attention? » / « Êtes-vous bien attentif ? »

C’est par cette phrase prononcée par Alan Turing, interprété par Benedict Cumberbatch, que le film s’ouvre, faisant écho au « Are you watching closely? » (« Est-ce que vous regardez bien ? ») de l’ouverture du Prestige de Christopher Nolan, qui nous rappelait qu’un tour de magie -et par extension un film- est constitué de trois actes, la promesse, le tour et le prestige.

The Imitation Game raconte la vie d’Alan Turing, mathématicien brillant engagé par le MI-6 pendant la seconde guerre mondiale pour décrypter les transmissions Allemandes codées par leur machine Enigma. Si le MI-6 parvient à déchiffrer Enigma, ils auront en main les stratégies des Allemands et pourront ainsi assurer une victoire aux Alliés.

Le premier acte de The Imitation Game est une belle promesse. Le monologue d’ouverture d’Alan qui s’adresse tout autant à son interlocuteur dans le film (qu’on ne voit pas encore) qu’à nous, spectateurs, insiste sur le fait que nous devons bien écouter attentivement, que nous ne devons pas le juger avant de l’avoir écouté jusqu’à la fin, avant d’avoir entendu le récit dans son intégralité. Une invitation à comprendre la complexité d’une histoire et d’un homme, en somme.

Pris au piège, non sans un certain plaisir, le spectateur est forcément alléché par cette proposition de cinéma et cette mise en abîme du récit, qui bien que classique reste habile et efficace. 

Si Peter Parker disait que les meilleures promesses sont celles qu’on ne tient pas, The Imitation Game est bien la preuve du contraire. Si le film évoque bien les sujets du lien entre l’homme et la machine, les prémices de l’intelligence artificielle, le rôle de la machine dans la guerre, s’il tente bien de dresser le portrait d’un homme complexe, brillant, arrogant, rongé par la peur de voir son homosexualité (illégale à l’époque) éclater au grand jour, il ne tient malheureusement jamais sa promesse d’en faire quelque chose de grand, de complexe, de puissant. Il se contente de les illustrer sans prendre la peine de s’interroger sur comment les traiter de manière réellement cinématographique, avec intelligence, finesse et émotion.

Le film prend le parti pris d’alterner entre trois timelines différentes, trois époques de la vie d’Alan Turing : les années 50, l’après-guerre; les années 40, qui correspondent à la trame principale; et enfin les années 20, l’enfance difficile de Turing.

Là où le bât blesse, c’est lorsque l’on s’aperçoit que ce mélange des époques, ce montage narratif n’a aucune utilité, si ce n’est de lui donner une apparence faussement complexe, et alourdit plus le film qu’il ne l’élève. Les transitions entre les différentes époques sont complètement artificielles et s’appuient sur des mécanismes usées jusqu’à la moelle, sans aucune surprise, aucune astuce, aucune proposition qui pourrait nous faire penser que l’écriture est maligne. Le scénario se veut malin (rappelons-nous le monologue qui nous demandait de prêter attention) mais la réalité est toute autre : le récit est simple, trop simple, et on pourrait allègrement aller se chercher du pop-corn ou faire sa pause toilette pendant les flashback et flash-forward qu’on n’aurait strictement rien perdu du film. Les timelines que nous pouvons appeler « parasites » ne font qu’illustrer de manière grossière et pompeuse des éléments du personnage qu’on avait déjà compris et assimilé, sans rien, absolument rien offrir d’autre. 

Techniquement, il n’y a pas grand chose à redire. Ni même à dire. The Imitation Game est propre, carré, la photographie est jolie, les acteurs sont souvent très bons et tentent de donner une vie, une âme, un souffle, et même parfois un humour bienvenu et réussi au film, et la musique d’Alexandre Desplat est très agréable à l’oreille. Il n’y a rien qui ne dépasse, qui ne transcende quoique ce soit, rien même qui ne soit maladroit. Aucune faute de goût, aucune maladresse, aucun choix bizarre ou parti pris radical qui aurait pu donner au film un certain charme. Au mieux, il y a de l’ennui. On pourrait dire que Cumberbatch et les autres acteurs sauvent en quelque sorte le film, mais la réalité est qu’il n’y a rien à sauver, et rien à couler non plus. Tout est calculé. Trop calculé.

Si le film est très intéressant d’un point de vue strictement historique, et nous apprend une histoire absolument passionnante sur le papier et agréable à suivre à l’écran, il peine clairement à nous investir dans ses personnages et leurs dilemmes. Il y a bien évidemment de bons moments, tantôt relativement touchants, tantôt galvanisants, parfois très drôles, mais ce sont des scènes isolées, des passages obligés qui ont peu d’incidence visible et ressentie sur le reste du scénario, alors qu’ils en ont bien évidemment en réalité. Et c’est cet enchainement, cette relation de cause à effet que le film a du mal à gérer, la faute à une écriture balisée et sans âme qui n’insuffle aucun souffle à ce qu’elle raconte, qui se contente de prendre les moments essentiels et de les juxtaposer et de les expliquer, les sur-expliquer et les expliciter. Le coup de grâce est donné à la fin, lorsque les enjeux profondément personnels du personnage principal sont résolus en deux ou trois scènes très courtes, et balayés par des cartons d’explications. 

Un film très intéressant pour sa dimension historique passionnante et pour les sujets qu’il évoque. Ce film permet de faire connaître une histoire d’une importance capitale qui est restée classée top secret jusqu’aux années 2000, et on se demande pourquoi elle n’est pas encore enseignée dans les livres d’Histoire tant elle a été un point pivot et décisif dans la victoire des Alliés. On lui doit au moins bien ça. Mais dans son exécution, lorsqu’on parle de cinéma et d’écriture, il n’y a malheureusement pas grand chose qui vaille le détour. 

La promesse aura été belle et passionnante, et le tour intéressant mais sans aucun prestige.

Critique du film "Imitation Game"

( Sortie cinéma : 28 January 2015 )
? / 5
0 note(s)
0%
Déposer un avis

Bandes-annonces

Aucune bande-annonce disponible...

Un film de : Productions : --- Scénario : Avec : Durée :
01h55

Titre original :
The Imitation Game

Compositeur :
Budget : ---
Box-office mondial : ---
Classification : ---
Pays :
Etats-Unis
Grande-Bretagne

Saga : ---
Synopsis :

1940 : Alan Turing, mathématicien, cryptologue, est chargé par le gouvernement Britannique de percer le secret de la célèbre machine de cryptage allemande Enigma, réputée inviolable.

Aucun avis n'est pour le moment disponible.

3.5

©2024 Cinéhorizons.net - IMPORTANT : Toutes les images / affiches sont la propriété de leurs auteurs ainsi que des sociétés de cinéma respectives.