Tsui Hark : A Chinese director story

Tsui Hark : A Chinese director story

La sortie de Détective Dee 2 : La Légende du Dragon des mers, est l’occasion pour nous de revenir sur la carrière et le cinéma de l’un des réalisateurs les plus importants de ces quarante dernières années, qui a porté presque tout seul l’industrie du cinéma de Hong Kong depuis trente ans, Tsui Hark.

 

La mort de Bruce Lee, en 1973, va marquer un coup d’arrêt à l’industrie de Hong Kong, qui aura alors du mal à s’en remettre, tentant désespérément de lui trouver un remplaçant pendant des années, en mettant en vedette des sosies dans de petits films fauchés (Bruce Le, ou Bruce Li, par exemple). C’est alors que vont débarquer quelques cinéastes, qui vont totalement relancer et révolutionner le cinéma de Hong Kong dans les années 80. Ils s’appellent Ringo Lam, John Woo, et Tsui Hark. Et malgré tout le respect que l’on se doit d’avoir pour l’œuvre des deux premiers, c’est bel et bien Tsui Hark l’investigateur de cette Nouvelle Vague, et son plus grand représentant, puisqu’il continue encore aujourd’hui à porter à lui seul toute l’industrie. En effet, en plus d’être un réalisateur très productif, avec plus de 40 films à son actif, il est également fondateur de la société de production Film Workshop, et par conséquent également producteur de nombreux grands films à succès (la saga Le Syndicat du Crime, The Killer ou Histoire de Fantômes Chinois).

Contrairement aux deux autres réalisateurs cités, Tsui Hark ne s’est pas spécialisé dans un seul genre de films. Alors que John Woo et Ringo Lam ont basé leur carrière sur le polar HK (qu’ils ont chacun réinventé, redéfini, et popularisé à leur manière), Tsui Hark a œuvré et livré bon nombre de films marquants dans plusieurs genres différents, et ce, dès ses premiers films. Pendant toute sa carrière, il dynamitera toute l’industrie de Hong Kong, et ce, en passant d’un genre à l’autre.  Qu’il s’agisse du Wu Xia Pian (The Blade, Seven Swords) au film d’arts martiaux (la saga Il était une fois en Chine), au film fantastique (The Butterfly Murders, Zu, les guerriers de la montagne magique) le drame (Peking Opéra  Blues, The Lovers) jusqu’au polar (Le Syndicat du crime 3, Time and Tide) ou au film sociétal (l’Enfer des armes). Une diversité, ainsi qu’un style unique développé pendant toute sa carrière, qui rendent le réalisateur unique.

Zu, les guerriers de la montagne magique

Un cinéaste enragé

 

Après des études de cinéma aux Etats-Unis, et avoir fortement été influencé par Akira Kurosawa (le Seven Swords de Tsui Hark ne sera pas sans rappeler Les 7 Samouraïs), Tsui Hark débarque dans l’industrie du cinéma en 1979 avec son premier film, The Butterfly Murders, qui marque véritablement un tournant pour le cinéma de Hong Kong, et définit en l’espace de quelques scènes le style et la mentalité de Tsui Hark. A l’époque jeune réalisateur éprouvant des difficultés à percer en tant que réalisateur, il débarque la rage au ventre avec la volonté, d’après ses termes, de « donner un grand coup de pied dans la fourmilière ». Et son premier film est le reflet parfait de cet état d’esprit : le film est sombre, radical, verse peu dans les sentiments, et sa mise en scène sur la corde raide, toute en décadrages, avec son découpage nerveux transmet la rage de Tsui Hark. Malgré l’échec du film, sa qualité est saluée par la critique, et il poursuit dans la même veine en réalisant Histoire de cannibales, et surtout l’Enfer des armes.

Ce dernier possède une histoire bien particulière. Tsui Hark avait pensé ses deux premiers films comme des reflets de la société de Hong Kong de l’époque. Les négociations pour la rétrocession de la ville à la Chine étaient alors loin d’aboutir, et Hark décrivait une société complètement perdue, en manque de repères, de culture, d’avenir, qui sombrait peu à peu dans la violence. Pour son troisième film, il décida de traiter frontalement le sujet, en prenant pour histoire un fait divers qui a choqué la ville à l’époque : l’histoire de trois adolescents issus de classes aisées, qui fabriquaient et posaient des bombes dans des cinémas par défi et pour s’amuser. Partant de ce postulat, Tsui Hark signe une œuvre énervée, enragée, provocatrice et ultra violente, qui se classe comme une excroissance de ses deux premiers films. Malheureusement, le contenu du film est jugé scandaleux, et doit être retiré des salles quelques jours après sa sortie. Afin de distribuer et de faire vivre le film, Hark est contraint de tourner de nouvelles scènes en dix jours (il fera appel à de nombreux cinéastes amis, comme Ronny Yu, pour incarner de petits rôles, il fait lui-même une apparition) afin de remonter le film et d’enlever le contenu subversif. Dans le montage original, les trois adolescents fabriquent volontairement une bombe et la font exploser dans un cinéma, pour se lancer un défi, puis sont retrouvés par une jeune fille anarchiste qui finit par les entraîner dans une spirale de violence. Le montage alternatif, lui, s’ouvre sur un accident de la route provoqué par les adolescents, dont est témoin le personnage féminin, et qui va s’en servir pour les faire chanter et les forcer à commettre les actes terroristes. Au total, près d’un tiers du montage original était remplacé dans cette version, qui n’aurait jamais dû réapparaître.

L'enfer des armes

En effet, en Chine, lorsque les négatifs d’un film ne sont pas intégrés dans la version distribuée au cinéma, ils sont détruits. Mais le monteur du film décide, dans le dos de Tsui Hark et du studio, de réaliser une copie VHS du montage original, afin de conserver son contenu. Plusieurs années après, HK Vidéo parvient alors à retrouver cette copie, et à recréer le montage original de Tsui Hark dans le DVD du film. Un travail énorme fourni par HK Vidéo, qui permet de découvrir dans sa forme originale ce chef d’œuvre, et ce, malgré la qualité visuelle et sonore médiocre des scènes coupées.

Un échec qui forcera Tsui Hark à entamer une carrière plus commerciale, délaissant la rage de ses premiers films pour créer des œuvres plus abordables. Une colère qu’il retrouvera cependant à deux reprises. La première en 1995, lorsqu’il décide de revisiter le mythe du sabreur manchot, immortalisé par la trilogie de Chang Cheh (Un seul bras les tua tous, Le Bras de la vengeance, La rage du Tigre), avec The Blade. Un film à l’ambition folle, au tournage complexe et éprouvant face aux méthodes du réalisateur, qui tourne trois jours par semaine, mais 72 heures d’affilée, pour un nouveau bide au box office. Ce qui n’empêchera pas le film d’être rapidement réévalué à sa juste valeur, et d’acquérir le statut mérité de film culte. Car The Blade est sans doute le meilleur film de Tsui Hark, le plus grand Wu Xia Pian jamais réalisé, et l’un des meilleurs films jamais réalisés à Hong Kong. D’une radicalité et d’une violence inouïe, le film dépeint une société chinoise d’une rare violence, où ne règnent que la loi des armes et la loi du plus fort, où l’un des personnages principaux peut sauver une prostituée des mains de brigands pour la violer derrière. Un film d’une fureur et d’une barbarie rarement égalées, traduites à l’écran par la mise en scène totalement folle de Tsui Hark, qui réinventera totalement le film d'action dans son approche, et qui fût l'un des premiers (avec John McTiernan sur Une journée en enfer) à innover et à développer le concept d'action-vérité, c'est-à-dire de filmer l'action de façon à ce qu'elle semble prise sur le vif. Une façon de redynamiser le film d'action (qui Tsui Hark trouvait ennuyeux à l'époque), et qui va imposer de nouveaux standards en Asie (tout comme John McTiernan a imposé le concept de caméra qui tremble à Hollywood). 

The Blade

Malheureusement, l’échec du film marquera une période creuse pour le réalisateur, qui aura du mal à se remettre de son expérience à Hollywood avec un Jean-Claude Van Damme dans sa période over-cocaïnée (Double Team et Piège à Hong Kong, deux films d’une débilité improbable, rendus agréables par le talent de Tsui Hark). Une expérience amère pour le cinéaste, qui le poussera à se réinventer avec Time and Tide. Mais malgré la qualité de ce dernier, il faudra attendre véritablement le magnifique Seven Swords pour que Tsui Hark redonne un élan à sa carrière.

 

Le sous-texte politique

 

Tsui Hark s’est toujours trouvé être un réalisateur engagé, décrivant sans concession la société de son pays, et plus particulièrement de la ville de Hong Kong, à travers ses films. Sa trilogie du chaos (The Butterfly Murders, Histoires de cannibales et l’Enfer des armes) était déjà le reflet d’une société qui basculait dans la violence, perdant progressivement ses repères et sa culture, avec comme point d’orgue l’Enfer des armes, où le réalisateur n’épargne personne. Décrivant une jeunesse sans avenir, qui bascule sans raison dans l’anarchisme et le terrorisme, pointant du doigt une administration incompétente, l’omniprésence de l’empire colonisateur et son emprunte sur la culture d’un pays, et la violence de plus en plus présente, via la drogue qui se développait à l’époque. Un vrai film coup de poing, dont tout le propos est résumé dans le final, d’un cynisme rare, où des images réelles de violence à Hong Kong défilent sous le rythme des tirs d’une mitraillette.

Il était une fois en Chine

Même lorsqu’il réalisa des films plus accessibles pour le public, Tsui Hark n’a pas pour autant oublié son engagement politique. Ainsi, Le Syndicat du crime 3 met en scène les individus profitant de la guerre pour s’enrichir sur le dos de la majorité. Et même sur un film plus grand public tel qu’Il était une fois en Chine, entre deux scènes de combat monstrueuses et deux scènes de comédie, Hark n’hésitait pas à montrer des soldats occidentaux abattant une foule chinoise désarmée, inoffensive et innocente.

Aujourd’hui encore, la saga consacrée au Détective Dee se trouve être une métaphore de la politique actuelle en Chine,  entre luttes de pouvoirs, d’influences, assassinats ou emprisonnements d’opposants politiques. Cependant, son cinéma ayant évolué avec le temps, Tsui Hark n’assène plus ses discours avec la fureur qui la caractérisait à ses débuts, afin de perturber le spectateur, mais de façon plus posée, en sous-texte du film.

Le Syndicat du crime 3

Evolution de son style

 

Tsui Hark est un cinéaste complet et expérimental, dont le style a progressivement évolué tout au long de sa carrière. Au début de sa carrière, son style énervé, rapide, et furieux fut innovateur pour le cinéma de Hong Kong, mais aussi pour le cinéma en général. Son alternance de plans serrés et de plans larges aériens, son découpage nerveux et très rapide, ses décadrages permanents, et ses plans très rapides auront grandement influencé le cinéma d’aujourd’hui, puisqu’il s’agit presque d’une norme dans le cinéma de genre actuel.

En réalité, Tsui Hark est un réalisateur qui s’adapte à son sujet. Capable de traduire la fureur et le chaos qui imprègnent les sujets de ses films (et dont l’aboutissement ultime se trouve dans The Blade), il adopte alors un style très agressif, expérimental (ce plan hallucinant et désormais célèbre dans The Blade, où deux combattants croisent le fer, se roulent au sol, avec la caméra qui effectue le même mouvement). Il est également capable d’avoir une mise en scène comparable à un ballet, qui possède l’aisance et la grâce des mouvements effectués par ses acteurs, comme dans Il était une fois en Chine, tout comme il est capable d’adopter un style comparable à celui de son compère John Woo, pour mieux s’approprier la saga Le Syndicat du crime, et donner au troisième épisode sa propre personnalité.

Tsui Hark fut longtemps un véritable dynamiteur de mouvements et d’espaces, capable de rendre deux nanards avec Jean-Claude Van Damme agréables à regarder juste par la force de son style. La réalisation de Seven Swords, et du premier Detective Dee sont une nouvelle étape poru Tsui Hark. Vériable chef d’œuvre, Seven Swords était un film de ruptures. Ruptures de ton, de rythmé, caractérisés par un style visuel capable d’être beaucoup plus calme et posé pour se concentrer sur ses personnages, puis de marquer une cassure pour filmer avec une inventivité rare les combats du film. Détective Dee : le mystère de la flamme fantôme achèvera cette évolution, Tsui Hark mettant ici fin à ses expérimentations passées. Moins hargneuse, moins chaotique, sa mise en scène n’en était pour autant pas moins fluide et maîtrisée.

Seven Swords

Il lui fallut cependant peu de temps pour reprendre ses expérimentations, pour pouvoir réaliser un film en 3D. Si The Flying Swords of Dragon Gate n’était qu’un moyen d’expérimenter la 3D, cette expérience lui a permis d’enchaîner avec Détective Dee 2 : La légende du dragon des mers. Une nouvelle preuve que sa mise en scène est parfaitement adaptée à la 3D, et qui lui permet de proposer l’une des meilleures expériences en 3D depuis Avatar en 2010.

A 63 ans, Tsui Hark a d’ores et déjà développé la carrière la plus riche du cinéma de Hong Kong. Il continue encore aujourd’hui d’être le seul à véritablement porter cette industrie (avec, dans une moindre mesure, l’acteur Donnie Yen), depuis la perte de vitesse des vedettes Jackie Chan et Jet Li, des réalisateurs John Woo et Ringo Lam, et d’une relève moins talentueuse ou plus « festivalière » avec des Johnnie To, Wong Kar-Wai, Andrew Law ou Wilson Yip. La future sortie de son prochain film, The Taking of Tiger Mountain, devrait lui permettre de poursuivre cette voie.

The Lovers

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