Jonathan Levine : Le spleen levinnien

Jonathan Levine : Le spleen levinnien

 

Ce mercredi sortira dans les salles Warm Bodies, bluette fantastico-adolescente dans la droite lignée de Twilight. Pourtant, quelque chose nous pousse à laisser au film le bénéfice du doute. Mais pourquoi donc ? Parce que Jonathan Levine ! En effet, derrière ce produit qui sent bon l’objet formaté prédestiné à cartonner auprès d’un public de jeunes adolescentes, se cache en réalité un cinéaste passionnant qui en 3 films aura réussi à apposer une patte unique dans tous les genres qu’il aura traversé et remixés à sa sauce.

Tout commença en 2006 avec All the boys love Mandy Lane. En apparence banal slasher pour ado, le film de Levine prend pourtant un curieux départ avec une scène d’introduction aussi belle que dérangeante  du fait qu’elle touche au plus près des sentiments adolescents. Dès le début, All the boys love Mandy Lane se pose comme un objet fascinant, à mi-chemin entre une horreur très typée 70’s et une radiographie du mal-être adolescent. Posant son spleen avec  une utilisation de musiques pré-existantes  en forme de réminiscences et d’évocation, Jonathan Levine distille une ambiance fascinante mise en valeur par une mise en scène judicieuse, qui allie l’aridité de Massacre à la tronçonneuse avec une certaine tendresse dans le regard qu’elle pose sur les personnages. Une sorte de dualité qui se retrouve aussi dans la très belle photographie du film qui le pose d’emblée comme un magnifique objet cinématographique. Un objet qui ne serait malgré tout rien sans le personnage éponyme, Mandy Lane, campée par la sublime Amber Heard qui trouva peut être le rôle de sa vie pour son premier grand rôle. Un personnage au centre de toutes les convoitises, sorte de fantasme adolescent ultime, que Levine réussit à faire traverser l’écran pour fasciner autant le spectateur que les personnages qui la convoite. 

Un premier essai, brillant, qui ne put malheureusement avoir les honneurs d’une sortie salle dans de nombreux pays (en France nous l’avons découvert presque 4 ans plus tard !) et qui, ironie du sort, n’est toujours pas visible sur son propre territoire.

Deux ans plus tard, The Wackness eu l’honneur de sortir en salles, certainement grâce à la présence de Ben Kingsley au générique. Film éminemment personnel (il en est cette fois-ci l’auteur), The Wackness renoue avec les grandes heures du teen-movie américain en partant d’un postulat archétypale (coucher avant la fin du lycée) mais gangréné par la mélancolie profonde de son auteur. Il suffit de mettre en perspective l’âge du réalisateur avec le personnage principal pour comprendre qu’il s’agit peut-être d’une version (fantasmée ?) de son passé. Capturant l’énergie de New York avant le passage de Giuliani, utilisant la musique comme il l’avait fait précédemment, Levine instaure une nouvelle fois une ambiance aérienne et nostalgique collant auprès de son personnage principal et retranscrivant par la même le spleen l’habitant en cet été 1994, point clé et croisement de nombreux passages de sa vie. Réussissant à émouvoir lors d’un final de toute beauté, aidé il est vrai par les grandes prestations de ses deux acteurs, où la complicité entre le jeune Josh Peck et Ben Kinglsey éclate à l’écran. 

Malgré tout, faible exposition dans son pays pour un film qui aurait pourtant pu connaître un petit succès. Qu’est-ce qui bloque chez Jonathan Levine ?

Nouvel essai, 3 ans plus tard, avec 50/50, où le réalisateur est cette fois-ci épaulé par Joseph Gordon-Levitt et Seth Rogen. 50/50 c’est l’histoire d’un jeune homme de 25 ans qui découvre du jour au lendemain qu’il est atteint du cancer. Pourtant, le film n’est pas un drame. Ou plutôt, pas qu’un drame. Alternant entre de réelles phases comiques (la présence de Seth Rogen n’est pas un hasard) et de profonds moments dramatiques, comme le cri poussé par Gordon-Levitt dans sa voiture, peut être l’une des plus belles captations de désespoir montrées sur un écran. Un cri illustrant de la plus belle et frontale des manières le spleen que Levine tenta d’instaurer depuis le début de sa carrière. Sans musique, sans mouvement de caméra, sans belle photo cachant le désespoir. Seulement un cri. Réorchestrant les éléments de son cinéma intelligemment (la traversée d’un couloir d’hôpital en contrechamps positif à la traversée du couloir du lycée de Mandy Lane) avec toujours la même maîtrise visuelle et musicale, 50/50 s’avère être un premier acte de maturité, la première consécration du cinéaste qui n’aura cherché, en 3 films, qu’à réussir à transformer une idée abstraite, un sentiment, un ressenti, en objet de cinéma.  

Mais il ne fallait pas s’y tromper, malgré cette nouvelle réussite  qui avait pourtant tout pour plaire, le box-office américain ne sera pas clément envers le film. Un échec peut être dû à la difficulté marketing qu’imposait le film ?

Malgré le fait que la trame de Warm Bodies n’ait aucun mal à trouver sa place au sein de la filmographie de Jonathan Levine, le voir ainsi franchir les portes d’un studio, de la même manière  que l’avait fait Catherine Hardwicke en son temps (réalisatrice de Thirteen et Les seigneurs de Dogtown avant d’être celle de Twilight), fut suivit d’une profonde crainte, celle de voir un auteur aussi sincère et précieux détruire sa singularité au profit des gros billets. Mais quoi de pire pour un cinéaste que de ne pas connaitre la joie de voir ses films sortir en salles et de les voir oubliés des spectateurs … Une immense frustration qui temporise légèrement la tristresse de le voir se plier aux règles d’un studio (faire un film de zombie en PG-13 !) mais qui n’enlève en rien la peur de le voir se faire détruire. Surprise, à l’arrivée de la première bande annonce, le film semblait correspondre parfaitement aux attentes initiées par un tel projet aux mains de ce cinéaste. Curiosité, crainte et espoir se partagent alors. La seule question maintenant est de savoir si Jonathan Levine a réussi ou non son examen de passage. La réponse mercredi !

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