Straight Outta Compton

En 1988, un tremblement de terre eut lieu sur la côte Ouest des Etats-Unis. Il ne s’agit pas du fameux Big One attendu et redouté par la Californie, il s’agit de Straight Outta Compton, premier album mythique du non-moins brillant groupe de rap NWA, qui n’est rien d’autre que le père du Gangsta Rap. Formé par Eazy-E, dealer du quartier de Compton improvisé rappeur, Dr. Dre, DJ du groupe d’électro Funk World Class Wreckin’ Crew, Ice Cube, étudiant et jeune lyriste et rappeur, ainsi que MC Ren et DJ Yella, le groupe fit l’effet d’une bombe avec leur premier album, dont les paroles ultra violentes, leur hostilité affichée envers l’Etat (le single Fuck Tha Police est explicite), leur dénonciation de la misère des ghettos, des violences policières, des gangs et de la drogue, ainsi que leur reprise de l’imagerie des films de gangsters (Scarface en tête) ont à la fois éveillé les consciences des noirs des ghettos américains, et séduit les adolescents blancs de la classe moyenne banlieusarde, fascinés par leur style de vie, et ont eu des répercussions jusqu’aux plus hautes instances du gouvernement (une lettre d’avertissement du FBI envoyée au groupe).  

C’est la formation, l’ascension, puis la chute du groupe que raconte ce biopic, dont le titre reprend celui de leur album culte. Il y avait un très gros potentiel pour cette histoire, qui en plus d’être un biopic sur l’un des groupes de rap les plus célèbres au monde, pouvait traiter de la pauvreté et de la violence quotidienne des ghettos américains, des violences policières sur les noirs aux Etats-Unis (malheureusement encore d’actualité aujourd’hui), de l’arrivée des gangs au sein de l’industrie du Rap (la période du label Death Row Records), et des tensions raciales au sein du pays, une partie de l’histoire ayant comme arrière plan l’affaire Rodney King et les émeutes à Los Angeles qui en découlèrent. Et c’est ce que parvient à faire le cinéaste F. Gary Gray (honnête technicien réalisateur des sympathiques Négociateur et Braquage à l’italienne), à savoir proposer sur 2h25 un biopic entraînant, rythmé, et une vision assez juste et réaliste des problèmes qui touchent, encore aujourd’hui, la société américaine.

Les premiers plans du film parviennent à nous plonger directement dans le Compton des années 80 et cette violence quotidienne qui y règne. Le réalisateur nous présente les trois membres principaux (Eazy-E, Dr. Dre et Ice Cube), chacun ayant leur scène de présentation, chacun dans l’univers particulier dans lequel il baignait à l’époque. Chaque scène ayant alors une construction et une mis en scène particulière. Eazy-E nous est présenté pendant un deal de drogue qui tourne mal, la scène est tendue, le montage très « cut » (plans serrés, découpage rapide) ; Dr. Dre est introduit de façon plus musicale, la caméra balayant sa chambre et tournoyant autour d’un Andre Young assis sur des dizaines de vinyles, casque sur les oreilles plongé dans son écoute de Roy Ayers, quant à Ice Cube, on le voit rentrant du lycée croisant la route de membre de gangs, le tout filmé de façon anecdotique, comme pour montrer une scène quotidienne de Compton.

La première heure du film nous montre avant tout la formation et l’ascension du groupe : la création du label Ruthless Records (financé avec l’argent de la drogue d’Eazy-E), les premières sessions d’enregistrement (scène assez drôle où Eazy-E, qui n’était absolument pas rappeur, est propulsé au micro par les autres membres et cherche à poser correctement le texte d’Ice Cube), la rencontre avec le manager Jerry Heller, l’enregistrement de l’album, le succès. Une première partie de biopic classique mais suffisamment bien rythmée et exécutée pour que l’on suive sans problème son déroulement. Puis arrive une scène charnière où le film bascule, il s’agit du contrôle au faciès de police devant le studio d’enregistrement, scène intense où chaque protagoniste et acteur prend une autre dimension, tout comme le film qui bascule vraiment dans sa dimension sociale, et contestataire, puisque le groupe enregistrera le single Fuck Tha Police après cette scène.

A partir de ce moment, le film traitera les problèmes sociaux et raciaux des Etats-Unis en sous-texte, avec principalement l’affaire Rodney King en fond (la vidéo du passage à tabac montrée plusieurs fois dans le film) et ce, jusqu’aux impressionnantes images des émeutes de Los Angeles en 1992, juste après l’acquittement des policiers ayant tabassé King. La grande réussite de ce côté reste pour le réalisateur et ses scénaristes d’avoir réussi à faire passer à l’écran les problèmes du pays ainsi que le malaise des noirs aux Etats-Unis, et ce, sans grands discours, sans être moralisateur, ou sans chercher de coupables faciles. On regrettera cependant que le film n’aille pas aussi loin qu’il aurait pu sur le sujet, notamment lorsqu’il évoque les émeutes de Los Angeles et le rôle qu’a joué (ou aurait joué) le Rap de l’époque, Ice Cube étant à l’époque accusé de fortement influencer les ghettos, les poussant à se révolter par la violence.

Néanmoins Straight Outta Compton reste un biopic, et les fans de rap et du groupe N.W.A. ne seront pas dépaysés, le film retrace avec justesse la vie générale du groupe, des premiers succès du groupe jusqu’à la mort d’Eazy-E et le départ de Dr. Dre de Death Row pour fonder son propre label Aftermath. Les amateurs de Rap reconnaîtront ainsi beaucoup de passages connus de l’histoire du rap West Coast (les pratiques mafieuses de Suge Knight pour intimider Jerry Heller et Eazy-E dans le but de libérer Dre de son contrat, le label Death Row, véritable repère de mafieux et de trafiquants de drogue). Ainsi, le film prend soin de n’éluder (presque) aucun sujet, et évite même le plus souvent le côté promotion pour rappeurs des biopics habituels, dont 8 Mile avec Eminem et Réussir ou mourir avec 50 Cent. Presque seulement, car si le scénario met bien en scène le côté manipulateur d’Eazy-E envers les autres membres, ou encore le rapprochement d’Ice Cube de la Nation Of Islam, le cas de Dr. Dre est bien différent, et son parcours est assez largement lissé dans le film. Ainsi, le film ne fait pas mention de ses violences envers certaines femmes, de son clash avec Eazy-E, de ses embrouilles avec Snoop et 2Pac, et limite les motivations de son départ de Death Row uniquement à des raisons de création artistiques, faisant passer Dre pour un artiste non-intéressé par la richesse (nous parlons, faut-il le rappeler, de l’artiste de Hip Hop le plus riche de la planète).

Il reste que Straight Outta Compton est d’abord un bon moment de cinéma, le réalisateur F. Gary Gray parvenant à faire une belle démo technique et composant des scènes parfois très réussies, on pense notamment à certaines ballades au sein du quartier de Compton qui donnent envie de rider avec du Dr. Dre en fond sonore, les soirées très arrosées et dénudées du groupe où la caméra est très mobile, fluide, et balaie l’espace, rappelant quelques secondes (toutes proportions gardées) certains films de gangsters de Scorsese ou De Palma, au passage montrant les émeutes de L.A. en 92, le passage à tabac de Eazy-E par Suge Knight et ses hommes, Dre débarquant au studio de Death Row et semblant découvrir le monstre qu’il a lui-même créé (scène néanmoins probablement purement fictive, tant il est peu probable que le docteur se soit rebellé de cette façon devant Suge Knight et ses hommes), et surtout ce grand moment lors du concert interrompu par la police à Détroit, les rappeurs interprétant sur scène le morceau Fuck Tha Police le doigt d’honneur pointé vers les flics postés dans la salle de concert. Il est également servi par un casting d’ensemble impeccable, chaque acteur parvenant à prendre possession du personnage qu’il incarne (en plus de la ressemblance physique frappante). Mention spéciale à Marcus Taylor qui interprète Suge Knight, très discret au début, et qui prend petit à petit la mesure du personnage, jusqu’à incarner à la perfection la figure mafieuse qui fait peur à tous ceux l’ayant un joue croisé qu’est le personnage. Interprétation des acteurs qui fonctionne d'autant que les personnages qu'ils ont à incarner sont tous intéressants, ayant chacun leurs qualités et leurs défauts, et dont le scénario parvient suffisamment à nous donner de l'empathie pour eux  pour que l'on soit véritablement touché lors de la dernière demi-heure du film, centrée sur la fin de vie d'Eazy-E.

Malgré sa durée (2h25 tout de même), ce Straight Outta Compton est une vraie réussite qui le place dans le haut du panier des biopics consacrés au Rap, et des ghetto movies des années 2000 (pour la plupart catastrophiques). Bien réalisé, rythmé, prenant et bien interprété, il s’agit avant tout d’un bon morceau de cinéma qui fait plaisir et pourra ravir aussi bien les fans purs de Rap que les non-initiés. Il s'agit également de l'un des premiers films à représenter aussi bien et avec un certain recul l'Amérique de cette époque, avec ses problèmes sociétaux, ses excès en tout genre (sexe, drogue, argent), ainsi que la problématique du SIDA mise en avant à l'époque par la séropositivité d'Eazy-E (voir à ce titre sa réaction lorsqu'il apprend qu'il a contracté le virus, qui en une seule phrase montre toute l'ignorance de l'époque), le tout étant accentué par une mise en scène soignée et une photographie qui nous immerge véritablement dans l'époque. Cerise sur le gâteau, les fans de Rap West Coast seront aux anges puisqu’ils pourront entendre les plus grands tubes de N.W.A., Dr.Dre, Ice Cube, et même 2Pac, Craig Mack et le Wu-Tang Clan. Un film qui répond largement aux attentes.

 

N.W.A.-Straight Outta Compton - Affiche
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Straight Outta Compton

Sortie cinéma : 16 septembre 2015
Un film de : Productions :
Legendary Pictures, Cube Vision Productions
Scénario : Avec : Durée :
02h27

Compositeur : ---
Budget : ---
Box-office mondial : ---
Classification : ---
Titre original :
Straight Outta Compton

Saga : ---

Au milieu des années 80, à Compton, l'une des banlieues les plus dangereuses de Los Angeles. Cinq jeunes hommes montent le groupe de Rap N.W.A. (Niggaz With Attitudes), qui devient très vite pionnier du Gangsta Rap avec leur premier album Straight Outta Compton, s'inspirant du quotidien très violent des ghettos de la ville pour bousculer l'industrie et les mentalités, sous fond de tensions communautaires. 

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