Les 8 Salopards

C’est peu dire que l’on a failli ne jamais voir au cinéma Les Huit Salopards. Petit rappel des faits, nous sommes en Novembre 2013, et Quentin Tarantino annonce que son prochain film sera de nouveau un western, après Django Unchained sorti la même année. Mais quelques jours après l’annonce du début du tournage, prévu pour l’été 2014, le scénario fuite sur Internet. Furieux, Tarantino annonce qu’il abandonne le film, et compte sortir le scénario en roman…avant de changer d’avis 3 mois plus tard, lorsqu’il annonce qu’il tournera finalement le film avec les acteurs prévus au départ (seule Amber Tamblyn dut se désister, pour être remplacée par la trop rare Jennifer Jason Leigh), lors d’une soirée où une lecture du scénario fut organisée à Los Angeles.

Le scénario de son nouveau film se déroule quelques années après la Guerre de Sécession. John Ruth (Kurt Russell), dit « le bourreau », chasseur de primes, fait route vers la ville de Red Rock où il doit livrer à la justice sa prisonnière Daisy Domergue (Jennifer Jason Leigh). Ils rencontrent sur la route le major Marquis Warren (Samuel L. Jackson), ancien soldat de l’Union devenu lui aussi chasseur de primes, et Chris Mannix (Walton Goggins), nouveau shérif de Red Rock. Alors que le blizzard les rattrape, ils trouvent refuge dans un relais de diligence où se trouvent déjà quatre autres personnes : Bob (Démian Bichir), qui s'occupe du relais en l'absence de la propriétaire, Oswaldo Mobray (Tim Roth), le bourreau de Red Rock, le conducteur de troupeaux Joe Gage (Michael Madsen), et le général confédéré Sanford Smithers (Bruce Dern). Tous sont coincés par la tempête, et très vite, la méfiance s’installe, John Ruth considérant qu’ils ne sont pas là par hasard.

Ainsi, avec Les 8 Salopards, Quentin Tarantino replonge dans le genre du western pour la deuxième fois consécutive, après Django Unchained (notons que Kill Bill, volume 2 emprunte également largement au genre). Et comme pour toute la filmographie du cinéaste, ce dernier film va très vite se situer à l’encontre de ce que l’on pourrait attendre du genre. Tout au long de sa filmographie, Tarantino ne cesse d’utiliser un genre bien défini et bien codé du cinéma (film de braquage, blackspoitation, film de kung-fu, film de commando, western…) pour se l’approprier totalement et offrir au spectateur sa propre vision du genre. C’est évidemment le cas de ce dernier, qui utilise le cadre du western pour basculer dans plusieurs genres totalement différents qui vont se compléter : le huit-clos, le suspens façon Dix petits nègres d’Agatha Christie, et le film d’horreur, dont l’influence principale de Tarantino est The Thing, chef d’œuvre indétrônable de John Carpenter, qui mettait déjà en scène un groupe de scientifiques regroupés dans leur base en Antarctique, et qui, confrontés à une menace qui les contamine un par un, vont devenir paranoïaques et se méfier l’un de l’autre. Tarantino y emprunte le pitch, le cadre, mais aussi son acteur principal, le génial Kurt Russell, et son compositeur, le mythique Ennio Morricone.

Mais avant tout, le film opère une forme de retour aux sources pour son réalisateur. En effet, en mettant en scène huit personnages, qui se retrouvent dans un lieu unique, à se méfier les uns des autres, avec un personnage n’étant pas celui qu’il prétend être, Tarantino retrouve pour la première fois le genre du huit-clos depuis Reservoir Dogs, son premier film. Mais le cinéaste pousse encore plus loin son style et sa narration (le film dure 2h45, contrairement aux 99 minutes de son premier film), jusqu’à transformer son film en un véritable théâtre filmé, où la scénographie,  le positionnement dans le cadre des acteurs (plus particulièrement lors du chapitre centré sur l’empoisonnement du café), leurs déplacements, leurs interactions prennent toute leur importance. Tarantino mettait déjà en place certaines scènes dans ses films comme une sorte de pièce de théâtre, mais n’était jamais allé jusqu’au bout sur toute la durée d’un film. Et surtout, au cinéma, jamais un film de ce type n’a probablement été aussi bien filmé, chaque plan étant un véritable régal pour la rétine. De plus, l’utilisation du format 70 mm, qui élargit considérablement l’image, s’il semble au départ incompatible avec un film se déroulant la plupart du temps dans un lieu unique en intérieur, Tarantino parvient à l’utiliser parfaitement, jusqu’à faire de cette cabane en question un véritable personnage à part entière.  

C’est l’une des caractéristiques de son auteur, et ce qui le rend si rafraichissant dans l’industrie cinématographique d’aujourd’hui, ce dernier remet au goût du jour un cinéma que l’on pensait (ou plutôt, que l’industrie a voulu nous faire penser comme tel) fini, dépassé, tout simplement d’une autre époque. Qu’il s’agisse de l’utilisation du format 70mm (plus utilisé au cinéma depuis 1982), de la pellicule alors que tous les films sont aujourd’hui tournés en numérique, l’absence d’effets spéciaux numériques, et enfin s’attaquer à des genres cinématographiques presque totalement absents des écrans depuis des années, tels que le western ou le film de commandos (pour Inglourious Basterds), Tarantino se démarque en nous faisant revivre un cinéma que l’on pensait perdu aujourd’hui, ce qui agit comme une forme de rafraichissement à une période où tous les films de studios ont tendance à se ressembler. Mais surtout, il ne se contente pas uniquement de titiller la fibre nostalgique du spectateur en recopiant bêtement ce qu’il a déjà vécu trente ou quarante ans auparavant (en moins bien fait, évidemment), comme c’est monnaie courante aujourd’hui (Star Wars – Le Réveil de la Force, Terminator Genysis, ou Jurassic World pour citer les exemples les plus récents). Non, le cinéaste s’approprie le genre en donnant sa propre vision, et propose sa propre expérience.

Surtout, ce dernier a pris l’habitude d’opérer une cassure au milieu de son film pour le transformer en autre chose que ce que l’on peut attendre. Ainsi, comme Django Unchained qui se posait au départ comme un western spaghetti pour virer progressivement au film de Blackspoitation, Les 8 Salopards prend le cadre du western (western sous la neige, on pourrait même dire) pour basculer progressivement dans le huit-clos et le film d’horreur, se basant essentiellement sur les dialogues et les jeux d’acteurs. Un parti-pris qui pourrait fortement décevoir les fans de Django Unchained, et que la critique dans son ensemble n’a pas hésité à souligner, dégainant ses colts pour tirer à vue sur Tanrantino et les très longs dialogues de son film (une critique qui n’a d’ailleurs probablement vu ni Reservoir Dogs, ni Pulp Fiction, ni Jackie Brown ou Kill Bill, puisque ces films possèdent des dialogues aussi longs que Les 8 Salopards…ou alors ces personnes dormaient-elles devant, il faut voir). Et il faut bien dire que sur ce point, Les 8 Salopards se pose comme l’opposé de Django Unchained.

Mais là où les deux films se rapprochent, et montrent une continuité dans le cinéma de Tarantino, c’est la façon qu’a le réalisateur d’utiliser le genre du western (genre à la base très représentatif de l’Amérique) et la période qu’il représente (dans le film en question, nous sommes quelques années après la Guerre de Sécession), pour dépeindre un portrait très sombre des Etats-Unis et de ses fractures, aujourd’hui encore très présentes. Tarantino dépeint effectivement une nation déchirée par la question raciale, l’affrontement entre les Confédérés et l’Union, et plus généralement, une nation et des individus qui se construisent par la guerre, les faux-semblants et le mensonge. A ce titre, la fameuse lettre de Lincoln (dont nous ne révélerons pas ici le contenu) est le symbole de tout ce qui a été décrit. Et surtout, le réalisateur parvient à décrire tout ceci par une vraie ambition cinématographique, notamment cette idée géniale de séparer en deux clans la cabane (une partie représentant l’Union, l’autre les Confédérés) pour éviter les affrontements entre deux membres, mais qui finira par avoir lieu, preuve que les plaies sont trop profondes.

Pour autant, peut-on considérer Les 8 Salopards comme le meilleur film de Quentin Tarantino ? La réponse est négative, ce dernier n’est ni aussi abouti que Kill Bill (aboutissement total de son cinéma), ni aussi fun que Pulp Fiction, et même moins puissant émotionnellement qu’un Django Unchained, même si évidemment le parti-pris de ne présenter que des personnages tous plus pourris les uns que les autres y est pour beaucoup. Mais le film se classe clairement comme l’une des grandes réussites de son auteur, et peut se résumer en un mot : jubilatoire. En effet, jubilatoire devant un film aussi bien mis en scène, où chaque plan est travaillé avec précision et respire l’amour du cinéma. Jubilatoire de voir tous ces salopards réunis dans un lieu unique, et finir par s’entre-tuer. Jubilatoire devant des dialogues toujours aussi brillants, à la fois drôles et pleins de sens. Jubilatoire de voir ces acteurs sous-employés donner leur pleine mesure et prendre véritablement possession de leur personnage, de l’impérial Kurt Russell en passant par Jennifer Jason Leigh qui incarne une figure maléfique absolue, jusqu’aux excellents Michael Madsen et Tim Roth, habitués du réalisateur. Mais il faut décerner une mention spéciale à Samuel L. Jackson, absolument monstrueux dans son rôle de chasseur de primes aussi cool qu’impitoyable, qui fait froid dans le dos pour nous faire rire en une fraction de seconde, ce dernier récite les tirades savoureuses du film avec une joie non dissimulée, et son incroyable charisme attirent véritablement le spectateur. Egalement jubilatoire de voir ce véritable festival de gore assumé, Tarantino réalisant ici sans aucun doute son film le plus gore, et qui devrait surprendre même les fans du cinéaste pour son jusqu’au boutisme. Et enfin, jubilatoire face à la partition d'Ennio Morricone, maître de la musique de westerns et dont l'association avec Tarantino était attendue de pied ferme. S'il ne signe pas sa plus brillante partition, le compositieur (reprenant parfois certaines de ses précédentes musiques, notamment celles de The Thing) offre quelques grands moments musicaux, principalement la musique du générique d'ouverture, véritablement prenante te glaçante.

En attendant de connaître le futur projet de son réalisateur (un Kill Bill, volume 3 est envisagé), il est difficilement envisageable pour tout amoureux de cinéma de passer à côté du huitième film de Quentin Tarantino. Si Les 8 Salopards n’est pas son film le plus réussi, chaque plan transpire l’amour du cinéma de son réalisateur, chaque dialogue est savoureux, et surtout chaque acteur du casting s’en donne à cœur joie, et démontre à quel point le cinéaste parvient à transcender ses comédiens. Du vrai cinéma, on n’en attendait pas moins.

Les 8 Salopards - Affiche
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Les 8 Salopards

Sortie cinéma : 06 janvier 2016
Un film de : Productions :
The Weinstein Company
Scénario : Avec : Durée :
02h47 - Version Longue : 03h02

Compositeur :
Budget : ---
Box-office mondial : ---
Classification :
Titre original :
The Hateful Eight

Saga : ---

Dans la post-guerre-civile dans  le Wyoming, des chasseurs de primes essayent de trouver l'abri pendant une tempête de neige, mais vont être impliqués dans un complot de trahison et de  tromperie.

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