Blade Runner

Unanimement aujourd’hui considéré comme un véritable classique de la science-fiction, et même du cinéma tout court, ayant définitivement placé son réalisateur Ridley Scott sur un piédestal d’où il ne tombera jamais (malgré un grand nombre de films sans intérêt depuis trente ans), Blade Runner a pourtant connu un parcours difficile pour parvenir à la reconnaissance actuelle qui est la sienne. Sorti en 1982 sur les écrans, le film fut un échec commercial aux Etats-Unis et globalement détesté par la critique de l’époque (tout comme d’autres chefs d’œuvres aujourd’hui reconnus à leur juste valeur, dont The Thing et Scarface, sortis la même année). Un ressenti qui a même traversé l’Atlantique, la presse française, spécialisée ou non, n’offrait qu’une très faible couverture à la sortie du film, et les avis étaient généralement très négatifs. Le magazine français Metal Hurlant, pour la sortie du film, titrait même en couverture « c’est Philip K. Dick qu’on assassine » (en référence au décès de l’auteur quelques mois avant la sortie du film).

Une sortie difficile qui fait suite à un développement déjà chaotique à l’époque. Adapté du roman Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? de l’écrivain Philip K. Dick (qui sera par la suite plusieurs fois adapté à Hollywood, notamment avec Total Recall de Paul Verhoeven et Minority Report de Steven Spielberg), le scénario subira de nombreuses modifications au cours de son développement, pensé au départ comme un film à petit budget se déroulant uniquement dans un appartement, avant de devenir le métrage que l’on connaît. Le tournage sera également compliqué, le réalisateur britannique Ridley Scott ayant du mal à s’adapter aux méthodes des studios hollywoodiens, se brouillant avec plusieurs membres de son équipe ne supportant pas ses méthodes de travail, ainsi qu’avec son acteur Harrison Ford, ce dernier, frustré de ne pas recevoir assez de consignes sur sa façon d’interpréter son personnage, prend ça comme un manque d’attention de la part de Scott.

Enfin, la post-production ne se passera également pas comme prévu. Les projections-tests à Denver et Dallas sont désastreuses, et face à ces retours, la Warner impose à Scott l’ajout d’une voix off afin de guider le spectateur, supprime toute ambiguïté sur l’humanité ou non de Deckard, et conclut le film par un happy end montrant Deckard et Rachael quitter la ville ensemble. C’est cette version qui sort au cinéma en 1982. Puis, en 1992, pour la sortie du film en Laser Disc, le studio propose à Scott de retravailler sur le montage, et bien qu’il soit plus proche de son montage originel (celui qui fut présenté aux projections-tests) avec la suppression de la voix off, du happy end et l’ajout des doutes sur le fait que Deckard soit un androïde, le terme de Director’s Cut n’était pas approprié. C’est la version de 2007, pour l’édition Prestige en DVD et Blu Ray, qui est considérée comme la véritable Director’s cut, puisqu’il s’agit de celle qui est la plus proche (bien que le réalisateur ait pu la retravailler) du montage prévu au départ. Et c’est ce montage qui sort aujourd’hui au cinéma, et dont nous allons parler.

Ce qui frappe encore aujourd’hui à la vision de ce Blade Runner, c’est l’incroyable richesse de son univers visuel, issu d’un ensemble et d’une véritable entente de grands talents, qui ne se limite pas à son réalisateur. Qu’il s’agisse des décors de Lawrence G. Paull, de la photographie de Jordan Cronenweth, du design de Sid Mead, ou encore des effets spéciaux de l’équipe de Donald Trumbull (2001 : L’Odyssée de l’Espace, et Rencontres du troisième type, dont les maquettes rivalisent avec les effets spéciaux numériques d’aujourd’hui), tous se sont donnés pour donner au film une identité visuelle forte, et des images qui impriment la rétine et hypnotisent le spectateur pendant toute la durée du film. Dès les premières secondes, le spectateur est happé par l’incroyable qualité et l’impressionnante richesse visuelle du film, ses cadres d’une précision remarquable, son découpage à la fois fluide et très sec (qui fait monter la tension lors de l’interrogatoire d’un androïde, sur lequel s’ouvre le film), les oppositions entre clair/obscur saisissants, et les incroyables jeux de lumière et de fumée, si beaux que l’on peut parfois se prendre à détourner légèrement les yeux des personnages pour les observer, et que l’on se prend même à découvrir de nouveaux détails à chaque nouvelle vision.

Les qualités de metteur en scène de Ridley Scott (alors en pleine possession de ses moyens) parviennent à mettre en valeur l’incroyable richesse visuelle et architecturale du film. En s’associant dès le début du projet avec Sid Mead (dessinateur industriel de formation), le réalisateur anglais va s’atteler à créer de toutes pièces un Los Angeles unique dans l’histoire du cinéma. A la fois futuriste et actuel, le film nous fait passer de rues et ruelles semblant tout droit sorties du Los Angeles de l’époque, à des buildings et voitures futuristes qui vont de pair avec le genre de la science-fiction. Mais au-delà du genre cinématographique, le décor de cette ville de Los Angeles traduit une forme d’abandon de la Terre par les êtres humains, qui investissent désormais (en 2019, année où se déroule l’intrigue) dans des colonies plutôt que sur une planète totalement dépouillée de ses ressources énergétiques. Ainsi, lorsque l’on foule le sol de la Terre, il ne reste que des résidus de vieilles industries, des ruelles salles, abandonnées, et des bâtiments décrépis. Tout est vieux, rongé, rafistolé lorsque l’on pose les pieds au sol, et par opposition, le film nous donne l’impression d’être sur une autre planète lorsque l’on s’envole dans une voiture : tout est plus beau, plus moderne. Une opposition d’autant plus d’actualité avec les problèmes écologiques et la recherche spatiale qui se poursuit.

Mais n’accorder au film uniquement des qualités d’image serait beaucoup trop réducteur, comme ce fut le cas à l’époque de sa sortie. En effet, la critique, lorsqu’elle n’était pas occupée à évoquer « le triomphe de la race blanche, comme dans Alien » (nous serions donc devant un film néonazi selon La Revue du Cinéma), reconnaissait au réalisateur des qualités d’artisan et une capacité à créer de « belles images », mais qui masquent un scénario vide et un film en général creux. Tous ces commentaires écrits, alors que le film pose clairement des questions existentielles et philosophiques, et que les personnages du métrage soient explicitement en proie à des interrogations existentielles (les dialogues ne font pas de mystère dessus). Le film se pose à hauteur de l’être humain, et pose des questions sur l’humanité des personnages, devant ces réplicants qui montrent plus de sentiments et d’humanité que tous les autres personnages humains du film. Ce sont en effet les androïdes qui ressentent de l’amour entre eux, font preuve de tendresse, et éprouvent une peur réelle pour leur disparition programmée, et ce, alors qu’ils ne sont au départ présentés que comme des machines tueuses impitoyables. C’est la question que se pose Philip K. Dick dans le roman, « Qu’est-ce qui fait d’un être humain un humain ? Les sentiments ? », et puisque les créateurs injectent des souvenirs artificiels (une image issue de l’esprit de Deckard jette le doute sur son humanité), qui créent des sentiments pour les androïdes, lorsque les humains en sont totalement dénudés, les réplicants sont-ils finalement plus humains ? C’est une question existentielle posée dans le roman et que le film parvient à retranscrire parfaitement dans le film, jusqu’à provoquer une grande empathie pour les personnages de réplicants, même si le personnage touchant de J.F. Sebastian, la provoque également.

Avant d’être un film d’anticipation, Blade Runner est avant tout un véritable film noir. Ce dernier reprend tous les éléments essentiels du film noir, de l’enquête policière complexe, du ton sombre et pessimiste, du déroulement de l’histoire dans une ville uniquement de nuit, sous la pluie. Blade Runner en reprend également l’identité visuelle, faite de grands contrastes, et d’éclairages expressionnistes.  Et surtout, le personnage principal, le traqueur de réplicants, Deckard, est l’archétype même du détective de film noir, cynique, désabusé, ne croyant en rien, et n’ayant aucun objectif autre que de remplir son contrat. Le personnage est surtout immortalisé par un immense Harrison Ford, dont la mine fatiguée, limite dépressive, et le cynisme placent son interprétation comme un mélange entre Humphrey Bogart dans Le Faucon Maltais, et Clint Eastwood dans L’Inspecteur Harry. Il est à signaler que le malaise qu’il trainait sur le tournage, notamment avec sa mésentente avec Ridley Scott, doit surement prendre une part importante de cette interprétation.

Il ne faut cependant pas retenir uniquement Harrison Ford. En effet, face à lui se trouve un tout aussi immense Rutger Hauer, qui interprète un réplicant aussi touchant qu’impitoyable, et dont la réplique finale reste longtemps dans la mémoire du spectateur. C’est un talent supplémentaire (sans oublier la fragilité de Sean Young et la révélation qu’était Daryl Hannah) qui s’ajoute à ce film, véritable chef d’œuvre intemporel construit par de grands talents alors en pleine possession de leurs moyens. Film d’anticipation, film noir, Blade Runner est également un film profond qui pose des thèmes et questions existentielles qui marquent le spectateur. La sortie au cinéma de ce Final Cut est une grande occasion pour découvrir ou redécouvrir dans des conditions optimales cette date dans l’histoire du cinéma.

Blade Runner - Affiche
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Blade Runner

Sortie cinéma : 15 septembre 1982
Un film de : Productions :
Blade Runner Partnership, Ladd Comp., Run Run Shaw, Shaw Brothers
Scénario : Avec : Durée :
01h57

Compositeur : ---
Budget :
$ 28 000 000

Box-office mondial : ---
Classification : ---
Titre original :
Blade Runner

Saga : ---

An 2019: Los Angeles, ville decadente, emploie des humanoides dont la duree de vie est tres breve. Revoltes contre ce triste destin, quatre "repliquants" s'enfuient, poursuivis par un blade-runner, un tueur de repliquants.

REPRISE CINEMA LE 14 OCTOBRE 2015 DANS SA VERSION FINAL CUT.  SORTIE BLU RAY LE 21 OCTOBRE 2015.

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