American Sniper

Bien qu’il soit aujourd’hui âgé de 84 ans, Clint Eastwood garde toujours la forme et n’est pas encore prêt à prendre sa retraite. En effet, depuis Space Cowboys en 2000, il tourne en tant qu’acteur ou réalisateur à un rythme d’un film par an (15 films entre 2000 et 2014). Et il serait dommage de s’arrêter en si bon chemin, puisque son dernier film American Sniper réalise le meilleur score au box office de la carrière d’Eastwood, détrônant Gran Torino avec aujourd’hui près de 400 millions de dollars au box office mondial, et est nominé 6 fois pour les Oscars 2015 (dont Meilleur film et Meilleur acteur pour Bradley Cooper).  Mais le film déclenche également une polémique depuis sa sortie aux Etats-Unis. En effet, en racontant l’histoire de Chris Kyle, tireur d’élite pendant la guerre d’Irak ayant officiellement tué 160 personnes, devenant ainsi le tireur ayant abattu le plus de personnes dans l’histoire des Etats-Unis, Eastwood est accusé par ses détracteurs d’avoir réalisé un film de propagande pour la guerre en Irak, de racisme envers le peuple irakien, et de glorifier le personnage du sniper, accusation relayée notamment par des personnalités telles que Michael Moore ou Seth Rogen, alors que le film est dans le même temps défendu par la Républicaine et très conservatrice Sarah Palin, ainsi que Paul Rieckhoff, vétéran de la guerre en question.

La polémique autour du film n’est cependant pas une surprise. D’abord parce que le réalisateur s’attaque ici à un sujet toujours brûlant dans l’esprit des Américains. Ensuite, parce que la personnalité, les avis politiques et la carrière de Clint Eastwood ont plusieurs fois alimenté la polémique aux Etats-Unis, et ce pour différentes raisons. Inscrit sur les listes du parti Républicain depuis 1951, ayant ouvertement soutenu les Présidents Nixon, Reagan, ou Bush Jr.(bien qu’il ait ouvertement soutenu des candidats démocrates lors d’élections locales), Eastwood est une cible facile pour les critiques situées  à gauche aux Etats-Unis, attaques parfois très virulentes, notamment lors de la sortie de l’Inspecteur Harry, l’acteur se retrouve accusé de fascisme et de glorification de la justice expéditive, via le personnage de Harry Callaghan dont il est l’interprète. Accusations bien entendu ridicules, et qui faisaient preuve d’une méconnaissance flagrante du cinéma, et plus particulièrement de celui de l’acteur/réalisateur. Et les critiques qui s’abattent aujourd’hui sur le réalisateur sont une nouvelle preuve de la méconnaissance et de l’incompréhension de son cinéma. Eastwood fait de la propagande pour la Guerre en Irak ? C’est oublier qu’il s’est ouvertement positionné contre en 2003. Les accusations de racisme ? On parle du seul réalisateur à Hollywood à avoir traité une guerre américaine (la guerre du Pacifique) aussi bien du côté américain (Mémoires de nos pères) que du côté Japonais (Lettres d’Iwo-Jima). Sa tendance à glorifier des personnages ? Au contraire, Eastwood le réalisateur ne verse ni dans la glorification ni dans le dénigrement, ceux qui en doutent devraient d’urgence voir ou revoir des films tels que Mystic River, Un Monde Parfait, L’Homme des hautes plaines ou Impitoyable. Et, avant de voir et d’appréhender American Sniper, il faut bien connaître le cinéma d’Eastwood et être conscient de tous ces paramètres.

Il est maintenant temps de se concentrer sur ce qui nous intéresse le plus dans ce film, à savoir le cinéma. Et à ce niveau, si la carrière de réalisateur d’Eastwood est exemplaire et entrée depuis bien longtemps dans la légende du cinéma, le cinéaste ayant rejoint depuis des lustres les grands réalisateurs classiques tels que Hawks ou Ford, qui avaient cette capacité à proposer un véritable spectacle tout en posant un regard purement américain sur la société et la mentalité américaine, sa carrière commençait cependant à décliner depuis son dernier chef d’œuvre Gran Torino, en 2009. Ce dernier ressemblait alors à un ultime baroud d’honneur d’un réalisateur qui revisitait à la fois les grands thèmes de sa filmographie et les rôles les plus importants de la carrière de l’acteur (Walt Kowalski était un croisement entre l’inspecteur Harry, le Sergent Highway, et William Munny). Depuis, le cinéaste semble fatigué, se contentant de réaliser des films à Oscars sans grand intérêt. Et si Invictus, Au-delà, ou J. Edgar, ne sont pas de mauvais films, ils font clairement partie des plus mineurs et oubliables dans la filmographie du réalisateur de Sudden Impact, L’Homme des hautes plaines, Le Maître de guerre, Impitoyable, Un Monde parfait ou Mystic River. La curiosité à l’arrivée de cet American Sniper est donc de savoir si Eastwood a bel et bien retrouvé son cinéma.

Le réalisateur ne nous laisse que quelques secondes pour poser cette question. Un décor de guerre, l’appel à la prière du muézine qui résonne dans les hauts parleurs, un tank qui se fraye un chemin à travers les ruines, des soldats qui pénètrent et fouillent toutes les maisons du quartier, le décor est rapidement planté, l’atmosphère est posée, il s’agit de la première mission sur le terrain de Chris Kyle, perché sur un toit. En un flash-back, Eastwood revient sur la jeunesse du personnage qui va le conduire à cette carrière d’assassin en pleine guerre. Ce dernier aura baigné dans la violence pendant toute cette période, entre confrontations quotidiennes à l’école, et figure autoritaire et violente du père. C’est ce quotidien et cette enfance qui le conduiront à s’engager dans la NAVY, où il pourra exprimer cette violence pour servir son pays. Il ne faut que quelques minutes au cinéaste pour poser son personnage principal, sans glorification ni caricature, le Chris Kyle d’American Sniper est un américain moyen, humble, de nature timide et réservée, qui fait des rodéos et boit des bières avec son frère, qui n’a jamais voyagé, et qui, s’il affirme que son pays est le plus beau du monde et qu’il fera tout pour le protéger, il le fait parce qu’il a des valeurs, et qu’il croit profondément en elles.  

Le reste du métrage se divise en deux parties, à savoir d’un côté le quotidien de tireur d’élite de Chris Kyle en Irak, et les missions qu’il aura à effectuer, et de l’autre côté sa vie de famille qu’il construit avant de partir au feu, et dont la guerre aura des conséquences. Dans cette partie, le personnage de Sienna Miller est primordial. C’est en effet elle qui accumule toute la frustration de voir son mari absent physiquement lorsqu’il est en Irak, mais aussi mentalement absent lorsqu’il est de retour, ayant toujours son esprit en guerre et ne pouvant penser à autre chose. C’est également son personnage qui va être l’élément déclencheur de son retour définitif d’Irak, et qui va donc avoir une forte influence sur le tireur d’élite. Un autre moyen pour Eastwood de tordre le cou à ses détracteurs, qui l’accusent d’être misogyne depuis des années. Encore une fois, c’est méconnaître son cinéma, tant la femme occupe une place primordiale dans sa filmographie de réalisateur. Ce dernier a en effet souvent offert une place de choix aux femmes dans ses films, leurs personnages pouvaient être aussi couillues que les hommes (Sondra Locke dans L’Epreuve de Force et Sudden Impact), ou alors se révéler d’une influence déterminante dans les choix et actes de ces mêmes hommes (la femme de Sean Penn dans Mystic River, qui va le pousser jusqu’au bout pour venger sa fille, quitte à atteindre ses propres amis).

L’autre partie du film se déroule en Irak, pendant la guerre, où l’on y suit le quotidien d’un groupe de soldats de la NAVY, et donc du sniper Chris Kyle, dont l’efficacité impressionne ses camarades, qui n’hésitent pas à le baptiser « la légende ». Une partie qui voit les américains et irakiens s’affronter à plusieurs reprises, et Eastwood parvient à construire chaque affrontement comme un véritable moment de tension. Les séquences sont violentes, tendues, stressantes, notamment lors d’un climax qui se construit avec l’arrivée d’un sniper irakien. Ce dernier est présenté et décrit comme l’opposé irakien du personnage de Kyle, et une bonne partie du film tourne autour de l’affrontement entre les deux tireurs, l’irakien étant aussi efficace que l’Américain. Toutes ces scènes d’action, de tension sont d’une grande efficacité grâce également à la mise en scène d’Eastwood. Malgré son âge, le réalisateur n’a pas perdu ses qualités et se montre toujours capable de proposer de grands moments de cinéma et de mise en scène. Les cadres sont précis, le découpage dynamique tout en gardant l’action toujours visible, et surtout il profite de la photographie de Tom Stern, beaucoup plus vive et moins terne que ses derniers films.

Mais là où le réalisateur est une nouvelle fois impressionnant, c’est dans sa capacité à décrire un personnage principal captivant, complexe, et surtout sans jugement. Contrairement à ce qu’affirment les critiques, Eastwood n’émet aucun jugement sur son personnage, pas plus qu’il ne le glorifie ou le dénigre. Comme dans ma majeure partie de sa filmographie, Eastwood met en scène un personnage avant tout humain, qui se situe sans cesse dans la limite entre de la violence profonde et un humanisme réel. Le réalisateur questionne d’abord le rapport à la violence et les conséquences de la guerre sur son personnage. Ce dernier n’est pas représenté en héros (il est, certes, considéré comme tel par les autres soldats), mais simplement comme un travailleur, qui est efficace pour tuer car il s’applique dans son travail, et qui nécessite de faire des choix difficiles, comme dans cette monstrueuse scène où Kyle a dans son viseur un enfant qui ramasse un lance-roquettes sur le cadavre d’un rebelle irakien. Un rapport qu’Eastwood a toujours eu avec ses personnages, en premier lieu dans l’Inspecteur Harry.  Le plus captivant reste l’évolution progressive du personnage de Bradley Cooper et les conséquences de la guerre. Alors que ce dernier vit mal le fait de tuer une femme et un enfant lors de sa première mission (les critiques qui affirment qu’il ne se remet jamais en cause sont donc mensongères), la répétition des assassinats au quotidien lui font perdre peu à peu son humanité, et ont surtout de graves conséquences sur le personnage lorsqu’il rentre d’Irak, jusqu'à le faire pénétrer dans la folie, ce dernier n’arrivant pas à décrocher et restant obsédé par la guerre. Le plan le plus équivoque du film reste celui, superbe, où Bradley Cooper, dans son salon, regarde sa télévision. Le spectateur entend alors les bruits de coups de feu et d’explosions, pensant que le personnage regarde un film, avant de se rendre compte qu’il regarde sa télé éteinte. Un plan d’une vraie puissance cinématographique, et qui a beaucoup plus de sens que n’importe quel dialogue inimaginable. En ce sens, dans ce dernier thème, American Sniper se rapproche fortement de Démineurs de Kathryn Bigelow, qui questionnait déjà le rapport des soldats américains avec la guerre.

Le sujet était parfait pour son réalisateur, et Clint Eastwood ne s’est pas raté. Sans être un chef d’œuvre, et loin d’être l’un de ses meilleurs films, American Sniper est un grand moment de cinéma, prenant, tendu et brillamment exécuté par l’un des plus grands réalisateurs encore en activité. On ne peut que vous conseiller, si vous aimez le cinéma, de ne pas écouter ceux qui ont vu le film avec des œillères et des préjugés bien pensants sur son réalisateur, et d’aller au cinéma voir un film qui raconte d’abord une histoire, et traite un personnage particulier sans jugements, seulement avec des questionnements. Malgré son âge, il semble que son réalisateur ait encore beaucoup de choses à dire.

American Sniper - Affiche
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American Sniper

Sortie cinéma : 18 février 2015
Un film de : Productions :
Warner Bros.
Scénario : Avec : Durée :
02h14

Compositeur : ---
Budget : ---
Box-office mondial : ---
Classification : ---
Titre original :
American Sniper

Saga : ---

Le destin hors normes de Chris Kyle, tireur d'élite d'exception qui officia à la Navy de 1999 à 2009. On compte plus de 150 personnes tombées sous ses balles...

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