Sinister : Interview du réalisateur Scott Derrickson

Sinister : Interview du réalisateur Scott Derrickson

Alors que le film Sinister est actuellement à l'affiche au cinéma depuis ce mercredi, on vous propose d'en savoir plus sur le long-métrage ainsi que sur le réalisateur Scott Derrickson (Le jour où la terre s'arrêta, L'exorcisme d'Emily Rose) à travers cette interview accordé à Cinéhorizons.

 

- Ma première question concerne le choix d’Ethan Hawke dans le rôle principal, ce qui correspond à un choix inhabituel, vu sa filmographie. Comment expliqueriez-vous votre choix ?

Ce n’est effectivement pas parce que son profil correspond à un film d’horreur. Je l’ai choisi à cause du personnage, Alison, un anti-héros, qui fait des choses assez horribles. Ce n’est pas un personnage du tout aimable. Je me demandais comment le montrer dans un film, j’avais peur que le spectateur ne puisse pas s’y identifier, qu’il se retourne contre lui, du fait d’être quelqu’un de si peu aimable, donc il me fallait un comédien avec du charme, qui puisse le rendre plus sympathique. Donc plus j’y réfléchissais, plus je me disais qu’Ethan, c’était le personne qui pouvait y parvenir. Avec Ethan, le spectateur verrait effectivement ses défauts, mais ne le détesterait pas pour autant, il resterait avec lui, il aurait envie qu’il s’en sorte, qu’il se remette d’aplomb. Malheureusement, dans les faits il n’y arrive pas du tout.

- C’est donc un contraste entre le caractère du personnage et celui du comédien.

Oui, parce que c’est un gars qui est tellement gentil, tellement charmant, ce sont ces qualités qui ressortent. Etant donné à quoi Ethan ressemble en tant que personne, tu sais qu’Alison ne peut pas être à cent pour cent mauvais. On a envie de l’aimer, et d’espérer qu’il fasse les bons choix et qu’il s’en sorte.

- La bande sonore est très importante dans vos films, c’est un mélange de plusieurs éléments. Comment avez-vous travaillé dessus pour ce film ?

C’est un aspect très important du film, en effet. Ca faisait partie de la conception initiale du film. Je ne voulais pas faire un film qui, du point de vue sonore, fasse petit, je voulais au contraire que le son agrandisse le film. J’ai fait ça en achetant les droits de neuf chansons. J’ai mis beaucoup d’effort sur la recherche de la musique pour les films en Super 8. J’en ai donc acheté ces chansons, aussi bien que quelques autres dans le film, et puis j’ai dit à Chris Young que je voulais que la bande son du film soit unique, je voulais que ça marque les gens. Parfois c’est l’inverse, parfois on a envie que la bande son crée un impact, mais qu’elle soit par ailleurs invisible, mais là je voulais que les gens la remarquent, qu’ils s’en souviennent. Je voulais qu’il y ait un aspect électronique, insidieux, graveleux. Puis je lui ai demandé de travailler avec le monteur son, pour qu’ils décident ensemble lequel travaillerait sur quelles scène, afin de créer un film où le son et la musique s’épousent bien, où on ne voit pas où l’un commence et où l’autre se termine.
 

- Le film « Sinsiter » crée une atmosphère de peur, alors que d’autres films d’horreur misent plus sur l’aspect gore et les effets spéciaux. Il s’agit donc plus d’instiller la peur par l’atmosphère que par des images violentes. Pensez-vous que le spectateur se désensibilise à force de lui montrer des images trop gores ?

Ce n’est pas tant qu’il se désensibilise, c’est plutôt que ce n’est finalement pas aussi efficace. On a eu une série de films du genre « torture-porn », et aucun n’a été une grande réussite financière, et comme ça ne faisait pas rentrer d’argent, les studios ont arrêté tout simplement de les faire. Puis il y a eu « Paranormal Activity », un film fait maison, avec un budget de  15000 dollars qui ne montre rien du tout, et qui pourtant fout une frousse énorme à tout le monde. C’est l’inconnu qui fait peur, ce qu’on ne voit pas, ce qu’on ne contrôle pas, et quant à la violence, c’est ce qu’on s’imagine qui fait peur, non pas ce qu’on montre de manière trop évidente. Je crois donc que c’est ce qui est sous-entendu, ce qu’on arrive à faire imaginer au public qui fait plus peur que tout ce qu’on pourrait leur montrer sur l’écran. Et justement, quand on le montre sur l’écran, tout ce que le spectateur aurait à faire pour ne pas subir c’est de détourner le regard, mais lorsque l’histoire vous oblige à imaginer la situation, il n’a aucun autre choix que de l’imaginer, et c’est comme ça qu’on crée un vrai sentiment d’horreur.
 

- Votre personnage principal aimerait réussir. Est-ce le besoin de devenir célèbre, d’avoir une reconnaissance critique, ou bien de devenir riche ? La réussite peut être éphémère, beaucoup de réalisateurs ont déjà rencontré cette difficulté. Est-ce que vous aussi, ça vous préoccupe ?

Oui ça me préoccupe, plus que je ne l’aimerais, c’est justement le propos de « Sinister ».  Après un fi lm qui fut une réussite financière mais qui n’a pas était aussi bien loué par la critique, j’avais peur de ne plus réussir, je me demandais donc comment j’allais continuer à gagner ma vie quand je serai plus âgé, si je n’allais plus pouvoir faire des films. J’ai détesté ce sentiment de peur, et le fait d’avoir écrit « Sinister », c’était une façon de créer un personnage qui rassemble mes pires qualités, qui prennent les décisions que je ne voulais pas prendre à ce moment-là de ma vie, et c’est pour ça que je ne le condamne pas, Alison, au contraire, je le comprends. Et puis c’est sans doute vrai partout dans le monde, mais certainement encore  plus aux Etats-Unis, on a peur de ne pas avoir un bon statut social. Chacun veut avoir sa place, chacun veut compter pour quelque chose, et c’est une mauvaise chose d’être motivé par cette peur de ne pas avoir un statut social élevé. L’envie d’avoir une bonne réputation, d’être reconnu prend racine dans cette peur, et c’est donc une force motrice beaucoup plus forte qu’on ne voudrait se l’avouer. Pour moi, ce que j’aime bien dans ce film, comme dans tous les films d’horreur c’est que le propos du film est la peur mais le personnage du film a vu ces films terrifiants, qui lui font peur, puis il y a des événements paranormaux qui se produisent, et qui lui font également peur, mais aucune de ces peurs n’est aussi grande que sa peur de ne pas réussir. C’est pourquoi il reste. Je crois donc qu’il est là, le sens profond du film.
 

- Pour moi aussi effectivement il s’agit là du véritable sens de l’histoire. Pouvez-vous donc nous parler davantage des références mythologiques du film ?

Les références mythologiques ? Je les ai toutes inventées, voilà tout ce que je peux vous en dire !

- Vous avez dit qu’il y a un côté sain aux films d’horreur, puisqu’ils permettent d’exorciser ses propres peurs. Quelles sont donc les films qui vous ont le plus fait peur ?

« L’exorciste », je crois, est le film le plus effrayant jamais réalisé. La problématique de la possession démoniaque est vraiment terrifiante, ce qui est donc à la base de ce film. Mais en fait ce film ne parle pas que des démons, ça parle des mystères de la foi, et la force de ce film vient de la lutte pour la foi, lutte à laquelle j’arrive à m’identifier. Je crois aussi que tous les films qui mettent la figure de l’enfant au premier plan, des films comme « Rosemary’s baby » ou « l’Exorciste », « Shining », « La malédiction », « L’orphelinat », « Ring » (je viens donc de citer six ou sept des plus grands films d’horreur jamais produits, chacun ayant comme personnage central un enfant) sont angoissants. En tant que parent, ça renoue avec ma plus grande peur, la corruption de mon enfant, ou bien la possibilité qu’il soit blessé, ou bien mis en état de danger. C’est donc très puissant comme truc, et bien sûr étant petit j’étais un enfant qui avait beaucoup de peurs, tous les enfants ont peur, et donc ça puise aussi dans cette peur infantile. Voilà les films vraiment terrifiants, et j’ai personnellement toujours été plus effrayé par ces films-là, bien plus que par les slashers. Je ne suis, par exemple, une personne qui a instinctivement peur de la mort, enfin, jusqu’à ce que j’aie mes propres enfants, parce que maintenant mes enfants ont besoin de moi. Il suffit que je survive encore 18 ans, après je pourrai revenir à mon état habituel, où je n’ai pas peur de la mort.

- Vous êtes-vous inspiré des livres de Lovecraft ?

Pas comme d’autres personnes du métier. Je l’aime bien, et j’ai lu ses livres, mais ce n’est pas une source d’inspiration principale. Ni la littérature gothique, à part Stephen King, qui est une inspiration pour tout le monde. Je ne lis pas beaucoup de littérature d’horreur, parce que je lis la nuit avant de m’endormir, c’est mon pli. Je lis de la littérature de science-fiction, et je lis de la littérature d’horreur de temps en temps, mais seulement lorsque j’ai la possibilité de lire en journée, pour ne pas me mettre dans tous mes états juste avant de m’endormir.
 

- J’ai l’impression que nous rentrons dans une ère de nostalgie, avec l’utilisation des caméras Super 8. Partagez-vous cette impression ?

Oui, je crois bien. Il y a une application Super 8 sur les téléphones portables, pour que les gens puissent faire des films façon Super 8, il y a le film de J.J. Abrams, il y a mon film. Vous savez, beaucoup de personnes de mon âge ont grandi avec des caméras Super 8 à la maison, moi-même j’ai fait des films Super 8 quand j’étais gosse. C’est un format filmique tout à fait singulier, rien n’y ressemble, et pour ceux qui ont trempé dedans étant enfant, c’est vraiment à part. Il existe un aspect proprement effrayant dans ce format, d’ailleurs. Si j’allais par exemple dans le grenier de votre grand-mère, et que je trouvais un film Super 8 à elle, de son enfance, quel qu’en soit le contenu, si on le regardait, ça nous donnerait les jetons, je ne sais pas ce que c’est, c’est intrinsèque aux vieux Super 8. C’est peut-être un lien avec le passage du temps, d’une façon étrange ça évoque des problématiques de mortalité.
 

- Préférez-vous l’image Super 8 ou l’image numérique ?

Ce sont deux formats complètement différents.  Pas seulement parce que c’est numérique, il y a bien sûr cette différence, mais c’est aussi l’idée de la projection, l’aspect tactile. Il me filme là, mais là où ça va, on ne peut pas y toucher, il n’y a que des 0 et des 1, mais avec le Super 8, on peut y toucher, donc l’idée que ça puisse contenir, incarner en quelque sorte le mal, est une idée intéressante.
 

- J’ai lu un document où vous dites que le film est basé sur un cauchemar. Quelle est la part du cauchemar, quelle est la part de créativité ?

C’est surtout le début qui vient du cauchemar. Le scénariste a vu le film « The Ring », puis il fait un cauchemar où il va dans un grenier, il retrouve plusieurs clips Super 8, dont le premier montre une famille en train de se pendre. Voilà ce qui vient du cauchemar.
 

- Vos projets à venir sont-ils des films du genre fantastique, ou s’agira-t-il d’autre chose ?

Je travaille sur plusieurs projets actuellement, je ne suis vraiment pas censé en parler, parce que si je parlais de l’un, mes partenaires sur les autres projets me demanderaient pourquoi je n’ai pas parlé de leurs projets aussi. Pour ne provoquer personne donc, je préfère ne parler de rien.

- Pourriez-vous faire une comédie romantique, par exemple ?

Non ! Je ne ferai jamais de comédie, je ne peux même pas dire si un jour je ferai un film dramatique normal. C’est possible, mais ce qui me plait ce sont les films d’horreurs, les thrillers, l’action, la science-fiction cérébrale, avec de vrais personnages. J’aime bien regarder les films dramatiques,  et il faudrait vraiment qu’une comédie soit très, très drôle pour qu’elle me plaise, ou bien que ce soit une comédie d’un certain genre, comme « Shaun of the Dead », par exemple. Je regarde des films dramatiques de qualité, et je regarde également  la télé pendant une heure chaque soir.

- Merci et continuez longtemps à nous faire frissonner !

De rien, c’est un plaisir.

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